G est né presqu’en même temps que la grande crise économique de 1929. Je le mentionne malgré que je doute fort que le crash boursier ait eu un impact direct sur la situation financière de ses parents qui, en bons catholiques canadiens français, avaient une famille nombreuse et vivaient donc, déjà en dessous du seuil de la pauvreté. Mais vous savez, même les gens pauvres sont encore plus pauvres en temps de récession.
En 1939, c’est le début de la seconde guerre mondiale. G, des années plus tard, racontait souvent combien sa mère avait été soulagée qu’aucun de ses 4 fils n'aient eu à aller au front. Le plus vieux a été exempté car il était boucher, le deuxième car il s’apprêtait à entrer dans les ordres, le troisième, à cause de ses pieds plats et G, le dernier, car il était trop jeune.
Pendant les 6 ans que dure le conflit, la famille de G s'en sort mieux que bien d’autres grâce, entre autres, au frère boucher qui leur apporte de la viande, en catimini. Mais aussi, grâce à ses 5 sœurs qui vont travailler et, aussi bien sûr, à la matriarche qui raccommode les vêtements des Pères Jésuites et qui taille et coud des manteaux pour ses enfants et ce, à même les manteaux dont ces derniers ne voulaient plus. Ceux-là mêmes, rapportés par son frère séminariste.
Les années passent et la guerre tire à sa fin. G ne va plus à l’école, il a 14 ans et travaille dans une usine de conserves. Le soir, pour se faire plus de sous, il traîne près de la gare ou du port de Montréal où il guette les soldats en permission qui transitent par la ville. Moyennant quelques pièces, il les guide à travers le red light et les tripots.
À l’usine, les patrons l’aiment bien. Son supérieur immédiat lui confie même que, s’il continue comme ça, il se verra offrir une promotion. G, intéressé à l’idée de gagner plus d’argent y pense, jusqu’à ce qu’il remarque que, parmi les gars qui travaillent de l’autre côté de la chaîne, rares sont ceux qui ont encore leurs 10 doigts. Il décide alors de démissionner et de passer toutes ces journées à jouer au guide touristique du monde interlope, le tout, sans jamais y sombrer complètement ni devenir mafieux.
G se mariera, aura un enfant, se séparera, aura plusieurs métiers et plusieurs relations amoureuses. Il aura toute une vie, presque, avant de rencontrer celle avec qui il vivra le plus longtemps, celle qu’il ne cessera jamais d’aimer même si le couple se brisera.
G, c’était mon père.
Il aimait la pêche, la nature, le bois et l’eau même si, ne sachant pas nager, cette dernière lui faisait peur. Il avait du respect pour la Terre. Il comprenait que nous étions tout petits face à Elle et à Ses éléments. Il se disait athée, mais en réalité, il croyait en la Nature et en Sa puissance.
Il était curieux. Il n'était pas instruit mais il lisait beaucoup. Il s’informait des sujets qui l'intéressaient comme la géographie, l’histoire et la politique. Il aimait connaître la vie des grands hommes et des grands remous du monde.
Il aimait rire même s’il ne riait pas souvent. Lui, il souriait. Il aimait faire rire et jouer des tours. Mais au-delà de tout, il aimait les raconter. C’était un conteur-né. Parfois on lui demandait de nous raconter des histoires que nous connaissions déjà par cœur. Avec un plaisir non feint il s'exécutait et nous, immanquablement, on riait.
Il se mêlait de ses affaires. Vivre et laisser vivre était son adage favori même s’il n’en pensait pas moins pour autant. Il était de la vieille école et les différences le dérangeaient.
Il était fier. Fier de ses origines, fier de sa mère, de ses sœurs, de ses frères et même de ses neveux et nièces qui réussissaient dans la vie. Il était fier de ses enfants aussi, mais je me demande s’il a déjà été fier de lui.
Il a été livreur de Kik Cola avant de porter l’uniforme de Pepsi et ce, même s’il buvait du Coke. Il a été barman dans plusieurs restaurants dont il a toujours aimé l’univers d’ailleurs. Il nous parlait souvent du restaurant qu’il aurait aimé avoir, un jour. Et puis il a poursuivi un autre rêve, celui d’être son propre patron, il est devenu ferrailleur. Métier qui fonctionnait souvent plus l’été que l’hiver. Alors quand les sous se faisaient rares, il devenait chauffeur de taxi. Il grognait toujours lorsqu’il avait à le faire mais je crois que c’était pour la forme. Au fond, il aimait parler avec ses passagers, autant pour apprendre d’eux que pour les faire rire ou les amuser avec ses histoires.
Mon père, c’était un épicurien bien avant que ce soit à la mode. Il aimait les femmes, il aimait boire, beaucoup, trop, et surtout, il aimait manger. Il aimait découvrir de nouveaux aliments, de nouvelles saveurs et de nouveaux mets. Il avait même tenté la nouvelle cuisine de l'Armoricain, dont il se plaignait de leurs portions ridiculement petites et dispendieuses sans toutefois s’empêcher d’y retourner à maintes reprises. Il était prêt à découvrir le monde à travers ses multiples traditions culinaires.
Et puis un jour, dans le quartier Outremont où j’ai grandi, une étrangeté dans le décor est apparue sur la rue Van Horn. Avec une façade quelconque, un restaurant vietnamien a poussé. Nous connaissions bien sûr la cuisine chinoise, du moins de la façon dont on nous la présentait à l’époque, mais de la cuisine vietnamienne? Ça, c’était du jamais vu. Même pour mon père qui en avait vu pas mal. Je me suis souvent demandé d'ailleurs, si ce n’était pas le premier restaurant vietnamien de toute la ville de Montréal.
Quoiqu’il en soit, avec tout ce que je viens de vous raconter sur lui, vous ne serez pas surpris de savoir qu’il s’est empressé d'aller découvrir cet endroit où il fût tout simplement charmé. De toutes les cuisines du monde qu’il connaissait, ce fût sa préférée. Pendant un moment, d’ailleurs, il a gardé cette merveilleuse découverte pour lui seul, y allant sur l’heure du dîner, presque en cachette, lorsqu’il en avait marre de bosser et juste avant d’aller à la taverne…
Je ne sais pas combien de temps, ou combien de fois il y est allé avant de nous y emmener. Mais je sais que lorsque j’y suis entrée pour la première fois, il connaissait déjà le patron par son nom ainsi que celui de sa femme qui cuisinait derrière un mur aussi fin qu’un paravent.
Il avait les yeux brillants quand on y allait et quand il m’a fait découvrir cette nourriture là je n’ai pas pu faire autrement que d’en être amoureuse, moi aussi.
Dans les derniers jours de sa vie il ne pouvait presque plus manger car le cancer qui le rongeait avait atteint l’estomac. Ma sœur qui allait le visiter à l’hôpital avant de rentrer chez elle, en Ontario, lui a demandé ce qu’il aimerait qu’elle lui apporte.
Du viet! avait-t-il répondu sans aucune hésitation
Nous l’ignorions, mais je crois que lui le savait, ce repas acheté au resto vietnamien ce jour-là, fût son dernier.
Ce week-end, c’est la fête des pères, donc, pour être un peu avec lui, je cuisine :
Kommentare