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De la Suisse à la suisse




Juillet 2023


De ma fenêtre au boulot, il m'arrive souvent de voir passer des avions. Normal, me direz-vous, puisque ma cuisine se situe en dessous d’un couloir aérien. Quoiqu’il en soit, je les regarde et je me dis qu’un jour elle sera dans l’un d'eux et, de ma fenêtre, je la regarderai revenir chez elle.


Je ne serai pas à l’aéroport pour l’accueillir car ce ne sera pas pour moi qu’elle reviendra. Elle reviendra parce qu’il sera temps, parce qu’elle aura vécu ce qu’elle avait à vivre et parce qu’elle sera allée au bout de cette aventure à laquelle elle tenait tant. Elle reviendra, mais pas pour moi ni pour un nous qui n’est plus tout à fait là.


Bien sûr je serai fébrile, bien sûr je regarderai les avions, TOUS les avions. Je me demanderai si c’est celui-là, ou était-ce plutôt celui d’avant? Ou alors, ce sera l’autre ou encore le prochain.  N’y tenant plus, je téléchargerai l’application de l’aéroport sur mon cellulaire pour suivre l’horaire de son vol, pour m’assurer qu’il n’y a pas de retard ou d’annulation. Je regarderai ma montre sans arrêt, guettant l’heure de son arrivée.  Ainsi, j’aurai compté à rebours les semaines, les jours, les heures, puis les minutes. Mais, non, je ne serai pas à l’aéroport pour l’accueillir. 


Évidemment, j'aurai hâte de la revoir. Mais ce ne sera que dans quelques jours, le temps qu’elle se dépose, qu’elle reprenne possession de sa ville et de sa vie. Je me contenterai seulement de lui envoyer un message texte pour lui souhaiter la bienvenue chez elle et lui demander comment aura été son voyage. Et puis je la laisserai fêter son retour au bercail sans moi. Parce que ce sera comme ça, je ne serai pas à l’aéroport pour l’accueillir.


Et puis le jour arrivera, le jour de notre énième première rencontre. On fera quelque chose, n’importe quoi, quelque chose qu’elle n’a pas fait depuis longtemps, ce qui lui plaira ; peut-être une balade dans le village, une virée dans les friperies ou, tout, simplement aller manger un hot-dog à la Pataterie. Ensuite, on fera quelques courses pour le repas du soir pour, finalement, rentrer chez nous.


En arrivant, JP nous attendra devant la porte. Il la saluera avec moultes ronrons et tortillées le long de sa jambe. Je ne crois pas qu'il aura reconnu sa maîtresse d’autrefois, mais il n’en aura cure car il est comme ça. Ce chat aime tout le monde, tout simplement. Pour Lulu ce sera différent cependant. À notre arrivée, elle se sera cachée et elle attendra plus tard pour montrer son joli petit museau et ce, j’en suis certaine, même si elle aura immédiatement reconnu l'intonation de voix et l’odeur de sa mère. Lorsqu’enfin elle sortira de sa cachette, elle restera quand même farouche, elle lui tournera le dos et fera mine de ne pas la reconnaître, ou de lui en vouloir. Nous ne distinguerons pas bien la différence. Et puis finalement, après quelques minutes, prise d’une soif soudaine et intarissable d’amour, Lulu montera sur la table afin d’être plus près d’elle et exigera plus de câlins que sa mère prodigue ne pourra en donner. A la caressera les yeux luisants, prenant conscience, tout à coup, du temps écoulé et des moments ainsi sacrifiés.


Je les regarderai avec une tendresse infinie et, moi aussi, je penserai aux minutes, aux jours, aux mois et aux années qui auront passés avec une certaine tristesse. Mais je sourirai parce que mon cœur, qui s’ennuyait depuis si longtemps, pourra enfin s’apaiser et arrêter d’attendre. Parce qu’elle sera enfin là, devant moi, pas en texto, pas en Visio, là, devant moi, pour vrai.  Mon Autre sera enfin de retour.


Je me lèverai et j’irai à la cuisine avant qu’elle ne voit les larmes luirent dans mes yeux. Ce sera l’heure de préparer le repas, de toute manière. Pour l'occasion, j’aurai cuisiné quelque chose de simple, de savoureux mais, surtout, quelque chose que je savais qui lui plairait, sûrement des pâtes ou quelque chose comme ça.


Plus tard, une fois repues de pâtes et de vin, il sera temps pour elle de partir. Nous nous regarderons, gênées, sans savoir comment nous dire au revoir. Nous nous dandinerons un peu, hésitantes et puis, finalement, nous nous ferons une accolade sertie de deux bisous timides sur les joues. Je la regarderai descendre l’escalier le dos appuyé au cadrage de la porte. Une fois en bas elle tournera son visage vers moi, elle me lancera un dernier sourire et, silencieusement mais en articulant les syllabes exagérément… Elle me dira.



MER-CI!

Une fois qu’elle aura disparu dans la pénombre du soir, Je fermerai la porte de l’appartement avec un petit sourire mièvre et j’essuierai la larme qui coulera malgré moi. Je me raclerai la gorge et je parlerai aux chats pour ne pas sentir le vide qu’elle aura laissé derrière elle. Parce que, sans doute, j’aurais voulu qu’elle reste et qu’elle reprenne la place qu’elle avait laissée. Cette place où elle existe toujours et encore, malgré son absence et malgré le temps. 


Dans un long soupir je me répèterai que ça ne pouvait pas se passer comme ça… Qu’il faudra du temps, qu’il faudra des efforts et du courage pour reconstruire ce qui a été détruit.

Et puis je me dirai qu’il y a demain, demain et tous les autres demains qui suivront.


 

C’est donc ainsi que j’avais imaginé la scène de son retour. C’était poétique, c'était beau et c’était en accord avec ce que je voulais et/ou ce que j’espérais. Mais voilà, ça ne s'est pas du tout passé comme ça.



Elle est arrivée un dimanche. 


Elle n’était pas de retour, non, elle n’était là que pour trois semaines. Un court séjour obligé qui n’était ni vraiment prévu ni vraiment voulu.


Nous ne devions pas nous revoir tout de suite car elle avait prévu d'aller chez son frère les premiers jours. C'est d’ailleurs lui qui devait l'accueillir à l’aéroport. Mais, à la dernière minute, les plans ont changé et c’est moi qui y suis allée avec ma fille.


C’est donc moi qui l'attendait de l’autre côté des murs vitrés et, étonnamment, je n’étais ni excitée ni fébrile à l’idée de la retrouver. Je ne sais même pas si j’en étais heureuse tant j’étais enfermée dans une forteresse quelque part, très loin de ce moment-là. C’était d'autant plus étrange que j’en avait rêvé si souvent. Pas comme ça, bien sûr! Mais quand même! J’allais la revoir, la prendre dans mes bras, lui faire la bise, la sentir… Cela faisait deux ans que je ne l'avais pas revue.


Je savais depuis la mi-décembre qu’elle allait venir à Montréal, c'était juste assez longtemps pour me préparer et pas assez longtemps pour être impatiente. Elle venait seule pour ces quelques semaines et elle m’avait demandé de l’héberger. Je savais que c’était de la folie, je savais que j’allais en ressortir meurtrie mais je devais dire oui. Je n’ai d'ailleurs hésité qu’une fraction de seconde avant d’accepter. 


Oh bien sûr, le lendemain au réveil je le regrettais déjà, mais, les jours ont passé et j’ai fini par me convaincre que c’était essentiel et que. si la vie m’avait offert cette opportunité, je devais la saisir. Je me disais qu’il y avait sûrement une raison, qu’elle avait sûrement besoin de moi et que moi j’avais besoin de ça. Que, peut-être, si la souffrance que j’allais m’infliger était assez grande, je me déciderais enfin à faire le deuil de nous. Ou alors ça ne changerait rien ou, pire, que je l'aimerais et croirais en "nous" encore plus fort.


Mais en même temps, je sentais que je devais me protéger alors, plus la date approchait, plus je me faisais une armure. Une armure faite de fausses convictions et de désillusions. Elle n’était que de passage, elle avait des choses à régler, à réfléchir. En fait, ce n’était que le mirage de mon Autre qui passait en coup de vent et qui, un soir de février, reprendrait un vol pour me laisser sans une seule écorchure, intacte. Au fond, sa visite n'allait rien changée, finalement. 


Alors j’étais là, à l’attendre. Debout et droite, je regardais les passagers et le personnel aérien défiler devant moi, presque stoïque. Elle est arrivée toute chargée et fatiguée du voyage. Elle nous a fait la bise, c’était presque froid, un peu malaisant, en fait, et nous sommes rentrées. Nous avons mangé toutes les trois ensemble en parlant de tout et de rien. Plus tard R est partie et nous sommes allées dormir.


Ainsi, la première semaine est passée avec son lot de découvertes pour chacune d'entre-nous. Moi de sa vie là-bas, de son état d’esprit et des réflexions qui l’habitaient et elle, du temps qui s'était écoulé, de sa famille et d’une partie de son passé. Et, au fil de nos conversations, mon armure que je croyais si bien construite, s’est complètement effritée.


Pendant son séjour j’ai été une amie, une bonne amie je crois. Je n’ai pas cherché à diriger ses pensées dans ses tergiversations. Oh! Je l’ai sûrement fait un peu malgré moi, mais je ne cherchais pas à la convaincre de quoique ce soit. Elle devait régler ses propres dilemmes et ce n’était pas à moi de la guider.


Nous nous sommes beaucoup promenées, nous avons joué aux cartes et regardé la télé. Nous avons même préparé un repas festif avec les enfants et un autre avec J. Nous n’avons pas beaucoup rit, malheureusement, car l’instant ne s’y prêtait guère, mais nous avons parlé, parlé plus que nous ne l'avions jamais fait.


Pendant les trois semaines je n’ai été là que pour elle. Le jour au boulot, j’étais enfermée dans ma tête et j’essayais de canaliser mes émotions et mes pensées alors que le soir je m’ouvrais pour elle, je l’écoutais et j’accueillais sa présence autant que ses besoins.


Je ne me suis probablement jamais sentie aussi proche d’elle et je crois que la réciproque était aussi vraie. Nous nous parlions à cœur ouvert comme jamais auparavant. Donc au bout de trois semaines, évidemment, et pour des raisons bien différentes, ni l’une ni l'autre ne souhaitait plus son départ imminent. Elle, parce que c’est ici chez elle et parce que sa famille et sa vie est ici et moi parce que j’aurais voulu qu’elle reste ici pour le reste de la mienne. 


Mais, voyez-vous, si sa vie est ici, son cœur lui, est là-bas. Alors le moment venu, c’est le cœur lourd et les yeux dans l’eau que nous nous sommes dit au revoir sur le pas de la porte de l’appartement que j’ai refermée sans la regarder descendre les escaliers. J’ai essuyé les larmes qui coulaient abondamment malgré moi. Je me suis raclée la gorge et j’ai parlé aux chats pour tenter de ne pas sentir l’immensité du vide qu’elle a laissé derrière elle.


Parce que c'est de là qu'elle venait et que c’est là qu'elle est repartie... Fondue Suisse.


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